Un gratteux de guitare cornu comme député?

« (…) toute les rats qui étaient en haut dans… les gratteux de guitares, c’toute des osties de carrés rouges là, toute des artistes, astie de, de, en tout cas, des mangeux de marde (…) »

Vous souvenez-vous de ces propos? Bien sûr, il s’agit de ceux de la policière Stéfanie Trudeau, alias le matricule 728, le soir de l’arrestation musclée de quatre personnes, dont trois musiciens, sur l’avenue Papineau en octobre 2012. Parmi ces derniers se trouvait Serge Lavoie, surnommé Serge 2-8, qui porte aujourd’hui le drapeau du Parti Rhinocéros pour l’élection partielle dans Bourassa. Je l’ai rencontré à la Casa Obscura, l’atelier artistique où a eu lieu la violente intervention policière. C’est en compagnie des deux autres artistes arrêtés il y a un an, Rudi Ochietti et Simon Pagé, ainsi que Jean-Patrick Berthiaume, son agent officiel, que M. Lavoie a répondu à mes questions.

Serge Lavoie, candidat du Parti Rhinocéros dans Bourassa

Photo: Pierre-Luc Daoust

Serge Lavoie, candidat du Parti Rhinocéros dans Bourassa

Vu de l’extérieur, il semble il y avoir une certaine distinction entre l’ancien et le nouveau Parti Rhinocéros. Moins de promesses loufoques, un côté sérieux plus présent, notamment sur le militarisme. Depuis la relance du parti en 2006, quel est son but? « Le but n’a pas changé. Personnellement, j’ai toujours vu une continuité avec ce qui se faisait avant« , me répond le candidat du parti qui a fêté ses 50 ans cette année. « À travers l’humour, on peut attraper des sujets très profonds et intéressants qu’on prend avec l’angle humoristique« , poursuit Rudi Ochietti.

Une façon de jouer avec la forme des choses pour en faire comprendre le fond? « Quand les gens se mettent à sourire, ils développent un sens critique. On peut prendre chaque idée de chaque candidat et la tourner en dérision pour en faire voir un autre côté« , selon Jean-Patrick Berthiaume. « Mais le Parti Rhinocéros, ça n’a jamais été seulement de l’humour! renchérit M. Lavoie. On est des artistes, c’est vrai depuis longtemps. On se fait le véhicule de la poésie, le véhicule de l’art, le véhicule de la musique. Ce n’est pas que de l’humour ou de l’absurde, c’est de la créativité. Et ça correspond à ma façon de penser dans la vie: quand tu as un problème ou n’importe quoi d’autre devant toi, il faut penser à toutes les solutions, même les plus flyées possibles, pour trouver la meilleure. Parce que la meilleure solution est un amalgame des recherches que tu fais, puis c’est souvent la plus simple que tu retiendras comme la meilleure. »

Serge Lavoie est convaincu qu’il faut réfléchir au-delà des paramètres prescrits ou terre-à-terre. « Par exemple, le budget. La moitié du monde ne sait même pas c’est quoi. Moi, je peux te parler du budget de la police, je l’ai beaucoup étudié. Mais vais-je aller faire campagne là-dessus? Non! Je suis bien mieux d’arriver avec mon banjo et un sourire, dire « Bonjour Madame, allez voter, c’est important! » puis faire de la musique avec ça. » La solution que veut apporter le Parti Rhinocéros est-elle alors simplement d’amener les gens à aller voter? « Bien plus que ça! Pour les encourager à voter, je leur offre une alternative à quelque chose qui est sclérosé depuis des années. » Désireux de rassembler et de mobiliser la population s’il est élu, le candidat se fait très critique envers l’ancien député fédéral de Bourassa. « Un des héritages de Denis Coderre, après 16 ans, c’est un énorme déficit démocratique« , juge-t-il sans hésiter. M. Ochietti souligne l’intérêt des partis politiques traditionnels à ce que le vote ne sorte pas. « Ainsi, ceux qui iront voter sont ceux qui sont intéressés et ceux affiliés à un parti. On parle de Denis Coderre: lui, sont intérêt, c’était que seuls les partisans libéraux aillent voter. »

Le quatuor devant moi est clair, la campagne électorale doit être faite de façon artistique par leur équipe. Au moment de l’entrevue, le parti se cherchait d’ailleurs un local qui serait un lieu de rassemblement pour l’art et un lieu d’échange avec les gens du coin, électeurs ou non. « Le fait de se présenter pour le Parti Rhinocéros, c’est avant toute chose un acte artistique« , affirme Rudi Ochietti. Serge Lavoie ajoute que « comme candidat, je fais de la musique, c’est comme ça que je me présente et j’aurai mon banjo avec moi en tout temps. »

Le Parti Rhinocéros a-t-il un programme à présenter aux gens qu’il rencontre? « Oui, on en a un, me répond M. Lavoie. Mais ce que je mets de l’avant, c’est que je suis un artiste musicien. » Jean-Patrick Berthiaume ajoute: « Pour les plus pragmatiques, on répond que, peu importe qui gagnera, ça ne changera rien« , faisant référence aux rapports de force à la Chambre des Communes qui ne bougera pas à l’issue des quatre élections partielles se concluant le 25 novembre. « Alors aussi bien avoir du plaisir avec les gens en leur proposant enfin un candidat qui pourrait changer quelque chose! Imagine un député qui arrive au parlement avec son banjo! »

M. Berthiaume rappelle que les votes annulés sont confondus avec les bulletins mal remplis et qu’il est donc impossible d’avoir une mesure réelle du taux de rejet de l’ensemble des candidatures. « Le Parti Rhinocéros devient donc une façon amusante de s’abstenir en sortant du paradigme entretenu par le milieu parlementaire. D’ailleurs, ça serait à étudier plus en profondeur mais le nombre de votes annulés semble être plus bas quand il y a un candidat rhinocéros. » La candidature de Serge Lavoie vise-t-elle donc à canaliser le vote de contestation en une personnalité qui sort de l’ordinaire politique? « Notamment! me répond M. Berthiaume. Mais pas uniquement le vote de contestation. » « Faire la promotion de l’art, ce n’est pas uniquement contester« , souligne ensuite le joueur de banjo.

Parlant de contestation, le Parti Rhinocéros conteste-t-il le système électoral en lui-même? Mes quatre interlocuteurs sont unanimes, non. Puis, profitant de la question pour remettre en cause la monarchie britannique, Serge Lavoie l’élance avec une promesse: « Dans les 100 premiers jours d’un mandat, je tiendrai un référendum sur les signes ostentatoires monarchiques dans Bourassa. » Sa plus belle cible? « La face de la reine sur les billets de banque, me répond-t-il, enthousiaste. On la remplace par Céline Dion. » « Pour les billets de 100$, ça sera René Angélil!« , ajoute Jean-Patrick Berthiaume, entrainant un rire chez ces militants qui dégage bien cette volonté d’avoir du plaisir dans l’aventure électorale. « Pour le billet de 1000$, on n’a pas encore décidé entre Guy Laliberté et Pierre-Karl Péladeau, d’ajouter le candidat. Voilà un bon exemple de ce que je disais plus tôt. Réfléchir à des choses des plus imaginaires, ça t’amène à penser à des affaires sérieuses quand même. Et qui sont possibles! »

Comment le Parti Rhinocéros voit son oeuvre par rapport au cynisme? Peut on y voir une certaine lutte? Jean-Patrick Berthiaume répond: « Un poète a écrit à Québec: « Vous n’êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves? » C’est un peu ça qu’on dit, nous aussi. Vous n’êtes pas écoeurés de ne pas voter, de laisser faire des gens qui détruisent tout? Vous n’êtes pas écoeurés de ne pas vous impliquer dans votre société, dans votre communauté? Les arts sont pour nous une des meilleures façon de faire avancer ce message-là. Donc oui, c’est contre le cynisme, mais au-delà, on aimerait bien voir la société s’en aller vers les bonnes choses. »

728, le point tournant

Et sans 728? « Si cet incident-là n’était pas arrivé, je n’aurais pas eu l’ambition de me présenter, avoue Serge Lavoie. Le problème aigu de la police à Montréal-Nord, notre incident… Notre incident m’a imposé un rôle social, soit d’en parler, du problème de la police. La campagne électorale me donne donc une voix pour en parler. » Peut-on parler d’une certaine notoriété, aussi tristement qu’elle fut acquise? « Je ne dirais pas une notoriété, mais plutôt un droit de parole« , rectifie Jean-Patrick Berthiaume. Un privilège dont veut prendre bien soin le candidat rhinocéros: « Les gens veulent bien que je sois une vedette à cause de la photo qui a circulé. »

Même si la police montréalaise et la sécurité publique québécoise n’étaient pas de sa compétence, Denis Coderre a-t-il fait erreur en gardant généralement le silence sur le décès du jeune Fredy Villanueva et les suites de l’affaire? Oui, selon Serge Lavoie. « Au-delà des juridictions, le bien-être des concitoyens, que ce soit au niveau municipal, provincial ou fédéral, ça concerne tous les élus. Ce sont les droits du citoyen qui ont été bafoués dans cette affaire. C’est un problème universel, on parle des droits de la personne! Ce n’est pas qu’un problème municipal. »

Et si le rhinocéros triomphait?

Une solution pour la création d’emplois à Montréal-Nord, selon Serge Lavoie? « On exproprie tout ce qui est au nord du boulevard Gouin et on y aménage de grandes plantations. Non seulement ce développement rassemblerait les citoyens, mais il permettrait aussi de leur redonner les rives! » Soulignant que c’était une proposition phare du parti dans les années 80, Jean-Patrick Berthiaume proposa également d’explorer la piste sex, drug and rock&roll: débattre de l’aspect illégal de la prostitution et de la drogue, qui pourraient venir s’enchasser dans l’économie légale, puis promouvoir le développement des arts et de la musique, qui font vivre beaucoup de monde. M. Lavoie approuva et s’engagea « à consacrer la moitié de mon salaire à créer de l’ouvrage artistique dans le comté en produisant des spectacles et en créant des événements. À mes yeux, ce budget-là serait énorme car on est habitués à faire des miracles avec rien. Et on n’a pas de corruption à payer, nous, alors ça coûte moins cher! »

Tous domaines confondus, quelle serait la première action d’un Serge Lavoie élu? « Je m’entourerais d’une équipe. Des gens du Parti Rhinocéros, bien sûr, mais aussi des personnes de d’autres milieux afin d’avoir de la compétence à tous les postes. Qui sait, peut-être que j’intégrerais Stéfanie Trudeau dans mon équipe! »

Reprenant un peu le but artistique de son éventuel local électoral, Serge Lavoie ajouta souhaiter, une fois élu, ouvrir un local à la Place Bourassa. « En fait, j’essaierais de faire nationaliser cette place-là. C’est un haut lieu de culture à Montréal-Nord… » « De la culture à la Place Bourassa?« , l’interrompai-je. « La culture étant deux personnes qui se connaissent, qui vont prendre un café et qui discutent ensemble de tout et de rien« , expliqua-t-il. « La culture, c’est une expression de notre humanité! Un centre d’achats, ça reprend assez bien cette définition« , ajouta Rudi Ochietti, avant que Jean-Patrick Berthiaume ne souligne en riant que le centre commercial avait déjà une SAQ, ce qui le rendait tout désigné pour un tel projet.

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