Le cabinet juridique Fasken Martineau était l’hôte hier soir d’un débat électoral à la sauce économique. À la table des participants et participantes se trouvaient Will Prosper pour Québec solidaire (Bourassa-Sauvé), Nicole Léger pour le Parti Québécois (Pointe-aux-Trembles), Dominique Anglade pour la Coalition Avenir Québec (Fabre) et Pierre Arcand pour le Parti Libéral du Québec (Mont-Royal). Option Nationale n’y était pas représenté.
Photo: Pierre-Luc Daoust
Will Prosper, Nicole Léger, Dominique Anglade et Pierre Arcand débattent chez Fasken Martineau.
Le débat étant organisé par la Jeune Chambre de commerce haïtienne, le Réseau des entrepreneurs et professionnels africains, la Chambre de commerce latino-américaine du Québec et l’Association des jeunes professionnels chinois, on ne s’étonnait pas de voir qu’une partie non-négligeable de la soirée fut consacrée à l’intégration des immigrants et immigrantes et à la solidarité internationale. L’animateur de la soirée était François Bugingo, journaliste et chroniqueur pour différents médias de masse.
La relance économique
Le débat s’est ouvert sur le thème de la crise économique et de la vision de chacun des partis sur la création d’emplois. Les ressources naturelles se sont invitées naturellement (sans mauvais jeu de mot) dans la discussion. Ainsi, M. Arcand a bien sûr mentionné le Plan Nord avant d’attaquer, lors d’un face à face, les promesses totalisant selon lui 5 milliards de dollars par la CAQ et d’affirmer de façon très creuse qu’il faut vivre selon nos moyens. Mme Anglade lui a répliqué que le tiers de la dette publique aurait été ajoutée durant les neuf ans de règne libéral. M. Prosper a dù défendre la capacité d’un gouvernement solidaire à financer sa plate-forme tout en essuyant quelques préjugés à la sauce Radio X, comme une volonté de son parti à abolir le capitalisme, qui n’ont pas trouvé echo dans la salle. Il a ensuite insisté sur les limites de notre planète pour expliquer l’importance d’une décroissance économique.
L’animateur a ensuite fait dévier la discussion vers la création d’emplois pour la diminution du taux de chômage. M. Arcand a parlé des marchés internationaux et du statut d’exportateur du Québec, pour ensuite louanger les hausses du salaire minimum survenues sous la gouvernance de son parti. Il s’est toutefois vite fait ramener les pieds sur terre par Will Prosper, qui lui a reproché que le salaire minimum soit encore loin du seuil de la pauvreté. Nicole Léger, de son côté, a parlé des nombreuses pertes d’emplois que l’est de Montréal a subi dans les dernières années, citant notamment les fermetures de la raffinerie Shell et de la manufacture du fabricant de chariots Cari-All. Elle a présenté ces exemples comme des preuves qu’il fallait agir avant les fermetures et ne pas baser sa stratégie sur le reclassement des travailleurs et travailleuses.
Photo: Pierre-Luc Daoust
Will Prosper défend les positions de son parti devant un public en grosse partie issu des communautés culturelles.
Parlant de la métropole, une des grandes oubliées de la présente campagne électorale, Will Prosper a insisté sur la diversité des origines au sein de la population montréalaise comme levier de développement économique. Il a jugé prioritaire cet objectif alors qu’il le mettait en compétition avec la création et l’application d’une charte de la laïcité. Pierre Arcand, en tentant de lui répliquer, s’est ensuite ridiculisé en prétendant que Québec solidaire comptait abolir les centres commerciaux, ce qu’a catégoriquement nié le candidat solidaire dans Bourassa-Sauvé. Sa tentative de démonisation de Québec solidaire entraina quelques regards mal à l’aise au sein du public devant les propos peu réfléchis du ministre. De son côté, Dominique Anglade a demandé à Nicole Léger pourquoi le PQ voulait appliquer la loi 101 aux entreprises de moins de 50 employé(e)s plutôt que de mettre de l’énergie sur l’aide directe aux entreprises, ce à quoi la candidate péquiste a répliqué que l’un n’excluait pas l’autre, que la relance économique pouvait très bien se faire en français.
La contribution des communautés culturelles
C’est Will Prosper qui put ouvrir la discussion sur l’intégration des communautés culturelles. Relevant que 11% de la population québécoise est issue des communautés culturelles, il déplora que celles-ci ne représentent que moins de 6% de la fonction publique. Il traita ensuite de la faible reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger, pointant du doigt entre autres les différents ordres professionnels qui, selon lui, ne font vraiment pas assez pour remédier à la situation. Selon M. Prosper, seulement 10,7% des personnes diplômées issues de l’immigration travaillent dans leur domaine d’études.
Pierre Arcand a présenté en guise de bilan l’entente survenue avec la France en octobre 2008, soit à la fin du mandat libéral précédent. Il a aussi affirmé que son gouvernement a fait des pressions sur le Collège des médecins et a amélioré la proportion d’origine étrangère dans la fonction publique. Il a finalement souligné, lors d’un face à face, qu’il fallait profiter de chaque nomination au sein des sociétés d’État pour améliorer la représentation des communautés et tendre vers la parité hommes/femmes.
Dominique Anglade, quant à elle, a dit vouloir miser sur l’entreprenariat et l’accompagnement, tout en voulant encourager les organismes qui oeuvrent sur le terrain. Elle a aussi mis l’emphase sur l’importance d’avoir des exemples de réussite à présenter aux jeunes issus de l’immigration afin de les encourager à prendre davantage leur place. Mme Anglade s’est toutefois retrouvée sur la défensive lorsque M. Prosper a mentionné l’intention de la CAQ de réduire de 10 000 individus l’accueil de nouveaux immigrants. M. Prosper a présenté ce genre de politique comme un signal voulant que le lien d’entraide soit uniquement du Québec vers les arrivants, alors qu’au contraire il va dans les deux sens.
Nicole Léger est restée très vague sur le sujet, se contentant de parler d’un document de Gérald Godin datant du tout premier mandat péquiste et des valeurs d’inclusions que partage, selon elle, le PQ. Ses propos sur le sujet durant le débat parlait davantage de parité que d’intégration. Alors que M. Prosper parlait de l’impact de la controversée déclaration de Jacques Parizeau le soir du second référendum sur la participation des communautés culturelles à la société, racontant l’anecdote de son père qui passa de fier péquiste à abstentionniste, Mme Léger lui reprocha de renoter une erreur vieille de presque vingt ans, lui demandant combien de temps encore le PQ aurait à s’en défendre. Elle souligna finalement le l’éventuelle charte de la laïcité sera discutée au sein des élu(e)s et de la population avant d’être rédigée et adoptée.
La solidarité internationale et l’exemple d’Haïti en 2010
Parlant de la solidarité exemplaire dont le Québec avait fait preuve suite au séisme en Haïti en janvier 2010, l’animateur François Bugingo demanda aux quatre personnes leur vision de la place du Québec sur la scène internationale.
Photo: Pierre-Luc Daoust
Dominique Anglade et Pierre Arcand
Dominique Anglade exposa une vision affairiste de la solidarité mondiale. Elle présenta la réponse québécoise envers Haïti comme étant le fruit de l’entreprenariat et souligna que ces interventions solidaires étaient autant d’opportunités pour nos investisseurs de tisser des liens d’affaires avec leurs homologues.
Nicole Léger mit l’emphase sur le besoin pour le Québec de se représenter lui-même, présentant en preuve le siège limité du Québec à l’UNESCO comme le mieux qu’il ait pu réussir à obtenir. Elle décriva la place du Québec comme devant être libre, compétitive et ouverte. Elle inclua finalement les valeurs d’entraide dans sa vision de la solidarité internationale, refusant que l’argent en soit le guide premier.
Will Prosper choisit quant à lui d’insister sur l’importance de se tenir debout face aux apparteids, mentionnant qu’un soutien à la Palestine, par exemple, n’était pas un affront envers le peuple israélien mais bien une dénonciation des gestes décidés par les seuls membres d’un gouvernement. M. Prosper réclama le rapatriement des compétences en matière d’immigration afin d’éviter que se répètent les refus de visa pour des équipes sportives, des musiciens venus participer à un spectacle-bénéfice ou encore la difficulté pour des enfants haïtiens en 2010 de trouver refuge au Canada. Il ajouta que les organismes non-gouvernemenaux devaient absolument faire usage des ressources locales lors de leurs interventions, stimulant ainsi l’économie du pays touché plutôt que de le garder dans une situation de pauvreté et de dépendance face à l’aide étrangère.
Enfin, Pierre Arcand insista sur la stature du Québec en tant qu’exportateur et sur son rôle dans le développement de la fonction publique haïtienne avant même le séisme. M. Arcand s’est toutefois retrouvé sur la défensive lorsque Mme Anglade lui a reproché la politique libérale sur l’exportation d’amiante. Provoquant une vague de protestations du public, M. Arcand a demandé qui le Québec pouvait prétendre être pour poser un jugement moral sur les importations des pays étrangers, se gardant d’en poser un sur le choix du Québec d’offrir le controversé matériau. Il ajouta à sa déclaration que les besoins en emploi dans les villes tournant autour de l’amiante primait sur toutes autres considérations.
Tout un contraste avec la tivi!
Mis à part les quelques attaques faibles d’esprit que dut essuyer Will Prosper, le débat fut nettement plus constructif que les débats des chefs télévisés. Les quatre concurrents et concurrentes n’avaient pas peur de reconnaître des bons aspects des plate-formes de leurs adversaires. Un débat haut en propos… et en altitude, lui qui avait lieu au 37e étage de la Tour de la Bourse, donc plus haut que le toit de la tour de la Banque Nationale.
Anecdote à part, pour conclure ce texte. Dominique Anglade est co-fondatrice d’une fondation nommée Kanpe, un mot créole signifiant… « debout », le slogan de Québec solidaire.