Je m’intéresse depuis quelques jours aux péripéties juridiques de Katie Nelson, une jeune militante et étudiante à l’université Concordia qui détient probablement le record du plus gros montant dû à la Ville par contraventions en peu de temps. Plus de 6000$, en fait, depuis le printemps 2012. Et c’est hier qu’elle contestait le premier de ses nombreux papiers rouges et blancs.
Photo: InertiaCreeps sur Flickr; recadrée par Pierre-Luc Daoust
Expliquant le nombre de contraventions, Mme Nelson affirme être harcelée par les troupes du Service de polie de la Ville de Montréal. Selon elle, le corps policier la cible en guise de représailles pour sa participation à la « Liste du SSPVM », un groupe public sur Facebook où sont rassemblées diverses informations sur les agent(e)s du SPVM telles que leur nom, numéro de matricule et photographie. Elle ajoute d’ailleurs que les agent(e)s qui l’arrêtent ou la mettent à l’amende s’échappent parfois sur la véritable raison derrière ces constats d’infractions.
Malgré cela, Mme Nelson est catégorique: pas question de plaider coupable ou de cesser d’encourager l’alimentation de cette base de données sur les agent(e)s de la paix de Montréal. C’est ainsi que mardi, elle réalisait qu’une de ses contraventions, pour crachat, était disputée devant La Cour municipale le lendemain après-midi. La contravention, émise dans l’arrondissement Ville-Marie, mentionne une violation de l’article 3 du règlement municipal P-12.2, soit le Règlement sur la propreté et sur la protection du domaine public et du mobilier urbain, qui se lit comme suit:
Sous réserve du paragraphe 6 de l’article 90 du Règlement sur l’alimentation en eau et sur l’usage des égouts publics (chapitre A-4), il est interdit de répandre un liquide sur le sol du domaine public.Article 3
Règlement P-12.2
Voilà qui semble très clair. Mais, vous savez, le droit a pour particularité de ne jamais être simple, et même avec un tel règlement, il ne faudrait pas cracher en l’air.
Avec les gens qui l’ont aidé (puisqu’elle a perdu son avocat, Denis Poitras, radié récemment), Katie Nelson a trouvé un règlement de l’arrondissement Ville-Marie qui vient rendre inopérant sur ce territoire l’article cité plus haut. Il s’agit du règlement CA-24-085, soit le Règlement sur le civisme, le respect et la propreté. Afin d’éviter les conflits entre règlements, ce dernier, en son article 106, prévoit ceci:
Le Règlement sur la propreté et sur la protection du domaine public et du mobilier urbain (R.R.V.M., chapitre P-12.2) est modifié à l’égard du territoire de l’arrondissement par la suppression:
- des articles 2 à 6, 8 à 15 et 18 à 20;
- des paragraphes 1, 2 et 4 à 7 du premier alinéa de l’article 21;
- du deuxième alinéa de l’article 21
- des articles 28 et 30 à 32.
Article 106
Règlement CA-24-085 de l’arrondissement Ville-Marie
Vous l’aurez donc compris, sur le territoire de l’arrondissement Ville-Marie, un(e) agent(e) de police ne peut vous sanctionner pour avoir violé l’article 3 du règlement P-12.2. Est-ce que cela signifie qu’on peut librement y cracher au sol ou y vider nos contenants? Non. Le règlement CA-24-085 prévoit aussi ceci, à son article 18:
Il est interdit de répandre un liquide sur le domaine public, sauf pour laver l’extérieur d’un conteneur à déchets, une propriété ou un véhicule. Quiconque contrevient au présent article commet une infraction du type 3.Article 18
Règlement CA-24-085 de l’arrondissement Ville-Marie
Le crachat de Mme Nelson est donc bien illégal. Mais le constat d’infraction doit mentionner avec exactitude le chef d’accusation et donc le règlement enfreint. Je ne pourrais vous dire avec certitude quelle loi ordonne cela, mais j’ai trouvé ceci dans le Code de procédure pénale:
À la demande du défendeur, le juge ordonne le rejet d’un chef d’accusation s’il est convaincu que:
- le chef d’accusation ne correspond à aucune infraction créée par une loi en vigueur au moment où se sont produits les faits décrits dans ce chef
Article 184, alinéa 7
Code de procédure pénale
ce qui ressemble à ce que je mentionne, soit qu’il n’y a aucune infraction à l’article 3 du règlement P-12.2, celui-ci n’étant pas valide dans l’arrondissement Ville-Marie.
Imaginez, juste un moment, que Katie Nelson l’emporte en Cour. Imaginez le nombre de contraventions invalides que cela représenterait. On parle de Ville-Marie, un arrondissement où se tiennent la plupart des manifestations et où se regroupent énormément d’itinérant(e)s. Je me demande à quel point on peut contester la validité d’un constat d’infraction sur une telle base après un verdict ou un plaidoyer de culpabilité, voire même après un paiement.
Le procureur de la Ville a obtenu l’ajournement de la contestation jusqu’au 7 novembre prochain à 9h30. D’ici là, Katie Nelson a d’autres constats d’infraction à contester, j’ignore si d’autres surprises croustillantes sont au menu. Mme Nelson m’a indiqué être en contact avec la Clinique juridique Juripop et j’ai cru lire qu’il lui avait été recommandé de s’adresser à la Commission des droits de la personne pour s’attaquer à ce qu’elle considère comme du harcèlement de la part du SPVM. Une histoire fort intéressante à suivre! 🙂
Cracher n’est pas répandre… mais je connais ce dossier, c’etait mon idée… en bref il y a plusieurs d’arrondissements, dont Ville-Marie, qui ont aboli au total ou en partie le reglement P-12.2 pour promulguer leur propres versions avec des amendes plus salées. Le policier, le matricule 1559, lui a fait une erreur en marquant le mauvais règlement sur le ticket. Le paragraphe 8 de l’article 184 du code de procedure penale il me semble, est ce qui pourrait tuer ces tickets.
8° la disposition qui crée l’infraction est…soit invalide ou inopérante,…
D’autres arrondissements qui ont aboli au complet ou en partie le P-12.2 comprend le Plateau-Mont-Royal, le PAT-RDP, Outremont, Park Ex-Villeray-St-Michel, et quelques autres.