Déforestation: Les Anishinabe saisissent la Cour

C’est devant l’honorable juge Johanne Mainville que reprenait cet après-midi, en Cour supérieure à Montréal, la cause opposant Grace Manatch à la compagnie forestière Louisiana Pacific Canada après un report vendredi matin. Au front pour sa communauté Anishinabe, la requérante algonquine revendique l’arrêt des opérations de déforestation sur la terre familiale.

Joseph Jr Wawatie

Photo: Pierre-Luc Daoust

Joseph Jr Wawatie, un militant Anishinabe directement touché par les droits de coupe accordés à Louisiana Pacific.

Mise en contexte. L’histoire se passe dans la réserve faunique La Vérendrye. La famille Manatch vit sur sa terre, en marge de la réserve autochtone du Lac Barrière, bien qu’elle en soit encore membre. Sur cette terre s’est formé un village, Meganagik, lequel regroupe des autochtones ayant quitté la réserve suite à différents conflits. Le Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) a accordé des droits de coupe forestière à Louisiana Pacific qui touchent la terre des Manatch sans en consulter les occupants. Ceux-ci ont réagi récemment en érigeant un blocus sur le site où la coupe doit se faire. Ce blocus a été levé depuis et la bataille s’est transportée en Cour, où les avocats Paul-Yvan Martin et Gérard Samet, du cabinet Martin Camirand Pelletier, tentent d’obtenir l’annulation des droits de coupe.

Du droit de revendiquer hors du Conseil de bande

Au coeur de l’argumentaire de Me Martin, le droit des autochtones hors-réserve d’être consultés avant l’octroi des droits de coupe. Le juriste commence par rejeter toute juridiction du Conseil de bande sur ce qui se trouve hors de la réserve, s’appuyant sur la Loi sur les indiens. Ensuite, il est proposé par Me Martin que la Cour suprême, dans l’arrêt Behn c. Moulton en son article 33 cité ci-après, a laissé la porte ouverte à ce qu’un individu puisse invoquer les droits collectifs pour obtenir un gain de cause personnel.

La Couronne soutient que les demandes fondées sur des droits issus de traités doivent être présentées par la collectivité autochtone ou en son nom. Cette proposition générale est trop restrictive. Il est vrai que les droits ancestraux et issus de traités sont, de par leur nature, des droits collectifs. (…) Toutefois, certains droits, bien que la collectivité autochtone en soit titulaire, sont néanmoins exercés par des membres à titre individuel ou attribués à ceux-ci. De tels droits peuvent par conséquent posséder des attributs à la fois collectifs et individuels. Il est possible que des membres de la collectivité possèdent à titre individuel un intérêt acquis dans la protection de ces droits. Comme certains intervenants l’ont fait valoir, il se peut fort bien que, lorsque les circonstances s’y prêtent, des membres d’une collectivité puissent être en mesure d’invoquer à titre individuel certains droits ancestraux ou issus de traités.
Article 33
Jugement Behn c. Moulton Contracting Ltd.
Cour suprême du Canada, 29 mai 2013

Le jugement Behn c. Moulton refusait aux membres de la Première Nation de Fort Nelson le droit d’intervenir physiquement pour empêcher l’entrée en action des travailleurs et travailleuses de la compagnie forestière car aucune contestation des droits de coupe n’avait été tentée en Cour au moment de leur octroi:

Le fait d’invoquer comme moyens de défense le manquement à l’obligation de consultation et la violation de droits issus de traités constituait, dans les circonstances de l’espèce, un abus de procédure. Ni la Première Nation ni les membres de la collectivité n’ont tenté, de quelque manière que ce soit, de contester en justice les permis au moment où la Couronne les a accordés. S’ils l’avaient fait, la société forestière n’aurait alors pas été amenée à croire qu’elle pouvait préparer et entreprendre ses opérations.
Jugement Behn c. Moulton Contracting Ltd.
Cour suprême du Canada, 29 mai 2013

Une balle que n’hésite pas à saisir au bond Me Martin qui, évoquant la contestation judiciaire en cours, affirme que la communauté Anishinabe voit ainsi son blocus légitimé.

Me Martin mit également beaucoup d’emphase sur une réunion qui aurait eu lieu entre, notamment, le MERN et des membres du village de Meganagik. Réunion durant laquelle le ministère aurait tout bonnement refusé de discuter avec les autochtones présents. Une insulte, selon le juriste, alors que les villageois avait espoir d’être écoutés. Bien que la réunion ne s’adressa qu’à ce seul village, Me Martin y voit tout de même un aveu du MERN à l’effet qu’il se doit de discuter avec les gens touchés par les coupes.

De la philosophie de la nouvelle loi forestière

Me Martin enchaina ensuite en évoquant un appui de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier, adoptée en 2010. Dès les premières lignes de cette loi, on peut lire:

CONSIDÉRANT qu’il convient de prévoir un modèle de gestion forestière qui soit axé sur de nouvelles approches d’aménagement forestier et qui tienne compte de l’impact des changements climatiques sur les forêts, des intérêts, des valeurs et des besoins des communautés autochtones et des régions du Québec ainsi que du potentiel économique, écologique et social des forêts et de tous les produits qui en découlent;
En introduction
Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier

  1. La présente loi institue un régime forestier visant à:
    1. partager les responsabilités découlant du régime forestier entre l’État, des organismes régionaux, des communautés autochtones et des utilisateurs du territoire forestier;

Article 1, alinéa 3
Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier

  1. L’aménagement durable des forêts contribue plus particulièrement:
    1. à la prise en compte, dans les choix de développement, des valeurs et des besoins exprimés par les populations concernées.

Article 2, alinéa 6
Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier

  1. La prise en compte des intérêts, des valeurs et des besoins des communautés autochtones présentes sur les territoires forestiers fait partie intégrante de l’aménagement durable des forêts.
  2. Le ministre doit consulter les communautés autochtones d’une manière distincte pour assurer une prise en compte de leurs intérêts, de leurs valeurs et de leurs besoins dans l’aménagement durable des forêts et la gestion du milieu forestier et les accommoder, s’il y a lieu. Il veille à ce que la politique de consultation élaborée en vertu de l’article 9 comporte des modalités de consultation propres aux communautés autochtones définies dans un esprit de collaboration avec ces communautés.
  3. Le gouvernement est autorisé à conclure des ententes avec toute communauté autochtone représentée par son conseil de bande pour faciliter l’exercice et le suivi des activités d’aménagement forestier par les membres d’une communauté et pour soutenir un aménagement durable des forêts.

Chapitre 2, articles 6 à 8
Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier

Ces extraits de la loi sont clairs aux yeux de l’avocat: Le gouvernement a l’obligation de consulter les Anishinabe plaignants, même s’ils ne forment pas le Conseil de bande, car ils sont directement la population concernée par les coupes. Me Martin conteste d’ailleurs un accommodement proposé par l’entreprise, soit de ne couper que sur le quart du territoire prévu. Pour lui, cet accommodement n’en est pas un. Il le compare à un scénario fictif où on tenterait de couper la tête de quelqu’un, mais que pour l’accommoder, on offrirait de ne couper que le bras. Me Martin qualifie ceci de négociation de mauvaise foi. Son collègue, Me Gérard Samet, abonda dans ce sens lors d’une brève intervention, soulignant l’importance du développement durable et du respect des autochtones comme chemin essentiel vers son atteinte, toujours en s’appuyant sur la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier. Selon lui, c’est une cible essentielle dans l’intérêt de la cohabitation de communautés distinctes.

De la balance des inconvénients

Aux yeux de Me Martin, il ne fait aucun doute que les inconvénients d’une défaite en Cour, ce sont les Anishinabe qui les subiront le plus. En plus de possiblement ne pas en être à leur première coupe à blanc (Me Martin ne put être plus précis que de mentionner que la réserve faunique est touchée depuis 1998), il mentionna l’atteinte aux droits ancestraux qui leur seront potentiellement reconnus au terme du procès. « Je ne peux concevoir qu’on puisse ignorer des droits constitutionnels au profit de droits économiques! », s’exclama-t-il, rejetant que Louisiana Pacific puisse être en danger suite à un gain des Anishinabe, mentionnant les autres contrats de coupe dont jouit l’entreprise. « La défenderesse nous dit que si elle ne fait pas son profit, elle va fermer ses usines! Elle plaide pour autrui, pour les travailleurs, ici », continua-t-il, soulevant que la fermeture d’une usine en un tel contexte est purement discrétionnaire et ne présente pas de lien de cause à effet assuré.

Me Martin tenta d’ajouter à son argumentaire les profits de 117 millions de dollars au 31 décembre 2013 rendus publics par Louisiana Pacific, un coussin assez confortable pour éponger cette perte de droits, mais ça lui valut les foudres de Me Yves Martineau, l’avocat de Louisiana Pacific, qui fit remarquer en objection que cette déclaration ne figure pas aux affidavits et n’est pas de connaissance judiciaire. L’avocat des autochtones défendit qu’une information rendue publique en une tribune crédible comme la Bourse est de facto de connaissance judiciaire, s’appuyant sur l’article 2808 du Code civil du Québec (que je cite ci-après). Me Martin voulut également soulever le temps de repousse des arbres coupés, ce qui fit intervenir Me Martineau à nouveau, pour la même raison. La juge Mainville repoussa ce débat procédural à demain, où elle décidera si elle tiendra compte ou non des arguments concernés.

Le tribunal doit prendre connaissance d’office de tout fait dont la notoriété rend l’existence raisonnablement incontestable.
Article 2808
Code civil du Québec

Les trois requêtes

En plus de la nullité des droits de coupe accordés par le MERN, Mme Manatch réclame une ordonnance de sauvegarde ainsi qu’une injonction interlocutoire. La cause entière pouvant prendre plusieurs années avant de voir le maillet frapper le socle, et l’injonction elle-même nécessitant une étude des preuves par la Cour qui pourrait s’étaler sur quelques semaines, voire quelques mois, les procureurs de Mme Manatch craignent que la coupe ne soit déjà terminée lorsque l’injonction sera ou non prononcée. C’est pourquoi ils demandent l’ordonnance de sauvegarde, laquelle serait en vigueur jusqu’à la décision sur l’injonction.

Seule la demanderesse a été entendue aujourd’hui. Les autres parties, soit Louisiana Pacific, la compagnie Produits forestiers Résolu et le Procureur général du Québec, seront entendues demain. S’il n’y a pas de déménagement, rendez-vous en salle 14.09 à 9h00.

5 Replies to “Déforestation: Les Anishinabe saisissent la Cour

  1. Les arbres sont les poumons de la terre
    Pas air pas VIE
    Parc suposément Protéger?
    Premiere nations nous sommes les gardiens de la terre.
    Ici a une répercution pour les sept futur générations?
    Du bois pour abris animaux plante médicinal!
    ARGENT CA CE MANGE PAS…
    PENSEZ A VOS PROPRE ENFANT!!!!
    Merci de m avoir lu,que le grand esprit vous ÉCLAIRE.

  2. De tout cœur avec vous les Algonquins. J’espère que vous serez entendus et respectés dans vos droits.

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