Mise à jour: 30 juillet 2012 à 23h35: L’avocate Catherine Morrissette m’a rappelé une vieille histoire dans laquelle le DGEQ avait tenté de s’en prendre à des blogueurs adéquistes après les élections de 2007, puis avait reculé. En suivant cette piste, je suis tombé aussi sur un récent article de La Presse dans lequel la porte-parole du DGEQ vient dissiper toutes mes inquiétudes.
Ce billet ne sert donc absolument plus à rien. Mais comme je n’ai pas le goût d’avoir « scrappé » trois heures de lecture et d’écriture pour rien, je le laisse en ligne.
#EchecLamentable 😛
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Avec la campagne électorale qui s’annonce, les médias se préparent pour suivre le rythme et commenter et analyser ce qui en sortira. Les médias de masse, bien sûr, mais aussi les médias indépendants, sur papier comme sur le web. Les citoyen(ne)s 2.0 s’en donneront aussi à coeur joie.
Mais… prudence! Car le Directeur général des élections du Québec (DGEQ), armé de sa très dinosaure Loi électorale, veillera au grain. C’est bon… et c’est moins bon.
Les articles de la Loi électorale du Québec (que j’appellerai simplement la Loi au cours de ce billet) qui seront intéressants au fin de votre présente lecture sont les articles 402 à 404 et 413 à 417. Vous les trouverez dans la section 1 (dépenses électorales) du chapitre 6 (contrôle des dépenses électorales).
Le baillon
Un bref échange de courriels avec mes collègues de Faits et causes m’a fait réaliser à quel point la Loi, dans son absence de mise à jour pour tenir compte du développement d’Internet, est une législation qui empêche toute liberté d’expression. Lisons ensemble l’article 402:
402. Est une dépense électorale le coût de tout bien ou service utilisé pendant la période électorale pour:
1° favoriser ou défavoriser, directement ou indirectement, l’élection d’un candidat ou celle des candidats d’un parti;
2° diffuser ou combattre le programme ou la politique d’un candidat ou d’un parti;
3° approuver ou désapprouver des mesures préconisées ou combattues par un candidat ou un parti;
4° approuver ou désapprouver des actes accomplis ou proposés par un parti, un candidat ou leurs partisans.
1989, c. 1, a. 402.
On en comprend très facilement que l’émission de toute opinion et de tout fait au sujet d’un candidat, d’un parti, d’une promesse, d’une plateforme est interdite si elle entraîne un coût. Même de seulement citer le programme d’un parti, sans aucun commentaire positif ou négatif, est contrôlé. Il ne vous reste que vos discussions personnelles.
Les auteurs de blogues et autres sites web, de vidéos sur Youtube, de tweets et autres modes d’expression qui semblent gratuits peuvent-ils s’en sortir? Hélas, non. Lisons l’article 403:
403. Dans le cas d’un bien ou d’un service utilisé à la fois pendant la période électorale et avant celle-ci, la partie de son coût qui constitue une dépense électorale est établie selon une formule basée sur la fréquence d’utilisation pendant la période électorale par rapport à cette fréquence avant et pendant cette période.
1989, c. 1, a. 403.
Votre ordinateur personnel devient partiellement une dépense électorale sujette à la Loi. De même que le crayon et le papier que vous pouvez avoir utilisé pour brouillonner vos idées. De même que les serveurs sur lesquels sont hébergés votre blogue. De même que la caméra qui a servi à vous filmer. On pourrait en dresser une belle liste.
Seuls les médias traditionnels (papier, télé, radio) s’en sortent, grâce aux exceptions des articles 404.1 et 404.3:
404 1° la publication, dans un journal ou autre périodique, d’articles, d’éditoriaux, de nouvelles, d’entrevues, de chroniques ou de lettres de lecteurs, à la condition que cette publication soit faite sans paiement, récompense ou promesse de paiement ou de récompense, qu’il ne s’agisse pas d’un journal ou autre périodique institué aux fins ou en vue de l’élection et que la distribution et la fréquence de publication n’en soient pas établies autrement qu’en dehors de la période électorale;
404 3° la diffusion par un poste de radio ou de télévision d’une émission d’affaires publiques, de nouvelles ou de commentaires, à la condition que cette émission soit faite sans paiement, récompense ou promesse de paiement ou de récompense;
1989, c. 1, a. 404; 1992, c. 38, a. 59; 1998, c. 52, a. 70; 1999, c. 40, a. 116; 2001, c. 2, a. 38.
Le développement du web aura été marqué par l’essor des médias web et des équivalents web des journaux papier. Des sites web comme Faits et causes, Droit inc., Rue Masson, Huffington Post, Openfile et plein d’autres auraient pu vouloir profiter de la campagne électorale pour rivaliser avec les médias traditionnels en tant que sources d’information et d’analyse, et/ou pour offrir une perspective différente sur l’actualité.
Mais la Loi, telle que rédigée, ne le permet pas nécessairement. L’article 404.1 protège les journaux et autres périodiques. Cette exception ne me semble pas inclure les publications numériques. Même les sites web des journaux et magazines publiés d’abord sur papier pourraient être concernés par cette interrogation. Les médias web ont-ils le droit de parler de la campagne électorale? Qu’en est-il des participants aux médias sociaux?
On pourrait penser que le gros bon sens saura s’imposer et que le DGEQ considérera que ces sites web peuvent respecter l’esprit de la Loi lorsqu’ils analysent la campagne électorale et livrent un point de vue éditorial. On est en 2012, après tout, ça ira de soi, pourrait-on se dire. Mais peut-on vraiment prendre ce sens de la modernité pour acquis? Souvenons-nous de la campagne électorale québécoise de 2007. Me Marcel Blanchet, alors le DGEQ, avait annoncé qu’il ne ferait pas de chasse aux sorcières mais qu’il appliquerait la Loi lors de la réception d’une plainte. Ce qu’il a fait, d’ailleurs! Les créateurs d’un vidéo sur Youtube, qui critiquaient le mandat terminé du gouvernement Charest, furent forcés de le retirer suite à une mise en demeure du DGEQ. Ce dernier considérait que le vidéo était une dépense électorale qui ne se qualifiait pas aux exceptions de l’article 404. Un scénario grotesque qui pourrait très bien se répéter cette année.
Le contrôle serré des acteurs
Les articles 413 à 417 mettent au clair que seuls les agent(e)s officiel(le)s des partis et des candidat(e)s, ainsi que leurs adjoint(e)s, peuvent le faire. Tout ce que la Loi considère comme une dépense électorale doit être comptabilisée dans les dépenses d’un parti. Ce volet de la Loi n’est pas une mauvaise chose, il permet de s’assurer que des individus fortunés ne commencent pas à investir dans le succès (ou la défaite) d’un parti de façon indépendante des agent(e)s officiel(le)s.
Cela dit, il est impératif que la Loi soit mise à jour pour correspondre à la réalité qu’on vit en 2012. Les médias alternatifs sur le web doivent avoir le droit d’exercer leur rôle journalistique. La liberté d’expression doit primer lorsque l’esprit de la Loi est respecté. Les médias traditionnels ne doivent pas conserver leur monopole du droit d’information et d’influence sur la campagne électorale, surtout quand on sait ce que ces empires de presse en font. Du coté de l’expression citoyenne, les blogues et médias sociaux font désormais partie du paysage. À court ou à long terme, l’avenir le dira. Mais les citoyen(ne)s doivent avoir droit à leur liberté d’expression, autant sur Internet que durant une discussion entre ami(e)s. Cet exercice du droit fondamental qu’est la liberté d’expression n’est pas incompatible avec le respect de l’esprit de la Loi.
En attendant qu’une révision de la Loi soit possible, l’actuel DGEQ, Jacques Drouin, doit en annoncer une application durant la campagne qui respectera le gros bon sens et fera preuve de modernité. Le DGEQ doit suivre un chemin ad-hoc qui soit précurseur d’une modernisation de la Loi qui amènera celle-ci à ne plus rejetter la participation citoyenne manifestée dans le web 2.0.
M. Drouin saura-il faire la preuve de ce leadership? La balle est dans son camp.