Décrochage et exclusion des jeunes: les cibles d’un solidaire

Alors que les candidatures vedettes sont généralement l’habitude des gros partis, c’est Québec solidaire qui aura recruté une grosse pointure dans Bourassa-Sauvé, l’ancien fief de Line Beauchamp. Will Prosper, ancien policier de la GRC devenu documentariste, fut dévoilé aux médias par Amir Khadir sur la rue Pelletier, devant le domicile où il a grandi.

Photo: Pierre-Luc Daoust

Will Prosper, candidat de Québec solidaire dans Bourassa-Sauvé

Will Prosper est porte-parole de Montréal-Nord Republik, un collectif qui s’est formé suite au décès du jeune Fredy Villanueva. Collectif centré sur Montréal-Nord, pas de ligne de parti, pas de risque de mettre une organisation dans l’embarras avec un faux pas dans ce monde de la politique de l’image. Pourquoi avoir faut le saut en politique partisane, alors? « Je ne sens pas que j’aie des restrictions, honnêtement. Ce que je faisais avec Montréal-Nord Republik, je peux le faire presque exactement avec Québec solidaire. Les valeurs du parti et du collectif sont relativement similaires. Pas exactement pareilles, mais tellement proches que je n’ai pas besoin de m’empêcher de dire quoi que ce soit. »

C’est cette proximité qui a amené M. Prosper à joindre le parti de gauche. « Québec solidaire montre non seulement une ouverture pour traiter des différentes discriminations que certaines personnes vivent ici dans le quartier, mais aussi une compréhension des enjeux sociaux du secteur, deux points que je ne vois pas dans les autres partis. Depuis longtemps, j’ai des affinités avec Québec solidaire. Lors de la première entrevue qui fut offerte à Montréal-Nord Republik, Amir Khadir est venu. Déjà, à ce moment-là, il se reconnaissait dans notre mouvement et sa présence voulait dire beaucoup pour moi. D’ailleurs, même Line Beauchamp ne s’est jamais avancée sur le sujet. Alors cette candidature m’est apparue comme la suite logique de mon implication. »

La place de Montréal-Nord dans la lutte étudiante

Bien que les enjeux de la grève étudiante de ce printemps touchent de près les familles et les jeunes de Montréal-Nord, il subsiste une certaine distance entre cette communauté et le mouvement étudiant organisé, explique M. Prosper. « Les différents groupes étudiants qui revendiquent entre autres pour les quartiers défavorisés, on ne les voit jamais dans ces quartiers-là. Je me suis questionné par rapport à ça. » C’est cette réflexion qui l’a amené, avec le collectif politique, à embarquer Montréal-Nord dans le mouvement des casseroles. « On l’a fait avec un certain succès, je pourrais dire. Je trouvais cette initiative très importante pour sensibiliser la population car l’éducation est un enjeu qui nous touche particulièrement. Le fait qu’il y ait seulement une personne d’ici sur dix qui va à l’université, c’est un problème et ça restreint les opportunités d’avenir de nos jeunes. Alors je trouvais dommage de ne pas voir le mouvement de ce printemps venir chercher les populations en périphérie de Montréal. Pourtant, elles ont besoin de la gratuité scolaire! »

Photo: Pierre-Luc Daoust

Le mouvement des casseroles s’est emparé de Montréal-Nord en mai dernier, à l’initiative de Montréal-Nord Republik.

Le déclenchement de la campagne électorale sur la base de la grève étudiante a amené une grosse ironie, soit l’absence de l’éducation dans les enjeux électoraux. Une situation que déplore le candidat solidaire. « Alors qu’il y a eu des mois et des mois de manifestations, alors que des centaines de milliers de personnes ont pris les rues, on n’a même pas cru nécessaire d’en parler durant les débats télévisés! Je trouve ça complètement anormal. On a longtemps mentionné que les jeunes sont désintéressés par la politique et les enjeux sociaux, puis la grève nous a démontré tout à fait le contraire! La raison pourquoi on les croit désintéressés, c’est parce qu’on ne vient pas leur parler! Quel parti politique, parmi les trois partis principaux, parle des étudiant, sinon pour parler de coupures budgétaires? À mes yeux, la valeur de l’éducation n’a pas de prix. Je ne veux pas qu’un jeune, ici à Montréal-Nord, dise qu’il n’ira pas à l’école parce que ça coûte trop cher. Aussi, regardez tous les efforts qui sont mis pour avoir des bureaux de votes dans les résidences de personnes âgées alors qu’on ne permet pas le vote dans les cégeps et les universités! Toutes ces mesures envoient comme message qu’on ne veut pas que les jeunes participent à la démocratie, qu’on essaie de placer la population étudiante sur le côté, alors que c’est notre moteur et notre avenir. » D’ailleurs, suite à cette démonstration de force que fut la grève, croit-il que les autres partis ont peur de la participation des jeunes? « On a vu que les jeunes veulent vraiment un changement. Ils veulent la fin du néolibéralisme. Ça peut apparaitre comme un changement radical, mais ce qui l’est vraiment, ce sont les actions qu’on nous impose via les politiques du néolibéralisme. »

Montréal-Nord: deux portraits, deux réalités sociales

M. Prosper est conscient du fossé social qui existe à Montréal-Nord entre le secteur plus banlieusard et le secteur urbain très dense. Il souhaite s’y attaquer en prenant de front plusieurs problèmes existants. « Tout d’abord, le taux de décrochage. Déjà c’est difficile d’être à Montréal-Nord. L’endroit a une étiquette qui est négative et qui peut ternir un curriculum vitae. Et ça, c’est en plus de l’impact d’un nom d’origine immigrante sur les chances d’embauche. Donc il faut travailler avec les jeunes générations afin qu’elles poursuivent leurs études pour pallier à ce problème. C’est assez ironique, d’ailleurs, de voir le taux de décrochage actuel alors que la dernière députée était la ministre de l’éducation! Ensuite, pour tous les projets réalisés à Montréal-Nord, il devrait y avoir un plancher qui force a y intégrer des gens qui y vivent, que ce soit pour les projets publics ou privés. Un plancher d’embauche locale devrait aussi s’appliquer dans la fonction publique nord-montréalaise. Ainsi on réserverait pour la population locale des emplois stables et non-précaires, ce qui lui manque énormément. » Il ajoute vouloir mettre beaucoup d’efforts à la création de places en garderie subventionnée, ce qui ferait d’une pierre trois coups, selon lui. « Le coût moindre de ces places, comparativement aux places privées, aiderait fortement les familles à boucler leur budget. Ensuite, elles représenteront des emplois locaux et permettront aux parents monoparentaux de se trouver de l’emploi plus facilement. »

Le Plan vert de Québec solidaire fait aussi partie des propositions que le candidat met de l’avant pour améliorer la qualité de vie de ses concitoyens et concitoyennes. « À l’échelle nationale, ce plan représente 166 000 emplois, mais à notre échelle, il rapprocherait le transport en commun. Présentement, plusieurs personnes mettent plus d’une heure trente pour se rendre au travail, parfois même deux heures. C’est inacceptable. Il faut les aider à se déplacer pour qu’ils et elles aient ensuite le temps pour leurs occupations familiales. » M. Prosper cite notamment les projets du métro et du train de banlieue et insiste sur le fait que le réseau de transport doit être électrifié. « Il est primordial qu’on passe à une énergie propre, et non pas qu’on reste dépendant à une énergie sale et non-renouvelable. »

9 août 2008, décès de Fredy Villanueva. Le lendemain, l’émeute. Dès lors, le Québec est déchiré et oublie la présomption d’innocence, d’un côté comme de l’autre. Sur le web et sur les lignes ouvertes, ça se déchaine sans nuances. Will Prosper prendra part à la mobilisation suivant la tragédie avec Montréal-Nord Republik. Sa formation et sa pratique dans un corps policier l’amènent à étudier la suite des choses différemment. « Au-delà de l’aspect socio-politique, je tenais à comprendre le type d’intervention choisie par le policier et les erreurs qu’il a commises. Durant l’enquête du coroner, j’accordais beaucoup d’attention aux discussions techniques. » Il déplore d’ailleurs que le rapport ne soit toujours pas publié, alors que la Ville tente d’en faire censurer la partie sur la sécurité de l’étui de l’arme. « Ce que je trouve vraiment dommage à travers tout ça, c’est qu’on a un rapport du coroner qui est supposé émettre des recommandations sur les changements à apporter dans les méthodes d’intervention des policiers afin qu’un tel incident ne se répète pas. C’est à ça que sert une telle enquête. Car, peu importe le point de vue sur la réaction du policier, tous s’entendent pour dire qu’un jeune n’aurait pas dû mourir. Avec Montréal-Nord Republik, on a travaillé très fort pour avoir cette enquête, alors que ce rapport soit mis en attente à cause d’une tentative de censure de la sorte, je trouve ça tout à fait ridicule, d’autant plus que le mécanisme de sécurité est expliqué sur Internet! Si la tragédie doit se répéter à cause de ça, la Ville aura du sang sur les mains. »

Le Montréal-Nord des médias et celui de ses citoyens

En attendant que ce dossier se règle, il s’ajoute à cette longue liste d’éléments qui alimentent les préjugés et ternissent l’image de Montréal-Nord. Un dilemme auquel Will Prosper s’attaque déjà et souhaite continuer à s’attaquer. « C’est au travers des différentes interventions en public qu’on y travaille. Chacune de ces prises de parole est une occasion d’essayer de renverser l’image ternie par les médias. Je parle souvent des tournois de basket-ball qui ont lieu ici, de l’Urbanifest, du Rockfest, de d’autres événements organisés par le milieu communautaire mais auxquels les médias n’assistent jamais et n’accordent pas de couverture. D’ailleurs, à titre de documentariste, j’ai filmé le tournoi de basket-ball de rue pour montrer ses bienfaits auprès de la communauté. » M. Prosper travaille l’image du quartier même lorsqu’il traite de faits qu’il ne conteste pas, comme la criminalité chez les jeunes. Il en parle avec une perspective différente de celle des médias. « Ceux-ci parlent des jeunes de gangs de rue, moi je préfère parler de délinquance juvénile. Après tout, c’est comme ça qu’on en parlerait si ces jeunes commettaient les mêmes crimes à Rouyn-Noranda. D’ailleurs, les statistiques de 2008 montrent que le taux de délinquance juvénile était plus bas à Montréal-Nord que dans l’ensemble de l’ile! Montréal-Nord est aimée de sa population, les gens y sont confortable, on ne sent vraiment pas dans la rue qu’on fait face à un danger imminent. »

Il se rappelle d’ailleurs une anecdote vécue dans les rues le soir de l’émeute qui reflète bien cette dualité entre Montréal-Nord et les médias. « J’étais descendu dans la rue avec un ami qui est travailleur de rue dans le but de nous assurer qu’aucun autre jeune ne se fasse blesser. Je me rappelle qu’alors qu’il y avait des feux un peu partout, la population marchait allègrement dans la rue et les journalistes, eux, étaient terrés contre les murs. Ils ne comprenaient pas ce qu’il se passait, ils étaient vraiment apeurés. La population, elle, n’avait pas peur et envoyait même un certain élan de solidarité malgré la violence car elle savait ce que ces jeunes vivent au quotidien. »

Le paysage politique local a changé un peu depuis ces événements. Marcel Parent, maire de Montréal-Nord jusqu’en 2009, n’a pas sollicité un autre mandat et fut remplacé par Gilles Deguire, ancien attaché politique de l’ex-députée Line Beauchamp. Au lendemain de l’émeute, M. Parent avait suscité la colère de sa population en déclarant qu’il n’avait rien vu venir et qu’il ne savait pas qu’il y avait ce genre de problème. « À mes yeux, le maire Parent en était un complètement absent et complètement déconnecté« , observe M. Prosper. « Il était à l’image de cette élite politique qu’on a chez nous. De tels propos en étaient d’ailleurs un bon aveu et ils m’avaient beaucoup frustré. » La situation s’est-elle améliorée avec M. Deguire? « On le voit, il est présents à certains événements. Il mène certaines actions, mais il y a encore beaucoup à faire. Par exemple, des terrains de soccer ont été créés, ce qui est formidable, mais leur accessibilité est un sérieux problème pour les jeunes. Aussi, souvent, lorsque des jeunes présentent des projets, que ce soit auprès de la mairie ou de groupes communautaires, ces instances prennent les projets et s’en vont les faire! Alors qu’il faudrait plutôt accompagner les jeunes pour qu’ils mènent à bien eux-mêmes ces projets. Ainsi on formera des leaders dans la communauté qui pourront embarquer le reste de la population dans les projets. Du reste, sur les vrais enjeux qui ternissent l’image de Montréal-Nord, on sent que le maire met du maquillage sur les blessures plutôt que de vraiment chercher à les soigner. »

Photo: Pierre-Luc Daoust

Les drapeaux haïtien et québécois réunis sur un mur du local électoral de Will Prosper.

Montréal-Nord est un rassemblement de beaucoup de communautés culturelles. Les Haïtiens et Haïtiennes y sont en grand nombre mais sont loin d’être seuls. Malgré cette multitude d’origines, le français y est bien implanté comme langue commune. « Montréal-Nord est en fait l’arrondissement de Montréal où il se parle le plus le français« , de préciser M. Prosper. Alors comment rapprocher les groupes et partis qui militent pour étendre cette harmonie linguistique à l’échelle de Montréal, notamment via la Loi 101, et certains tenants du multiculturalisme qui taxent toute imposition du français comme étant du racisme? Où est l’équilibre? « Je crois que Québec solidaire a trouvé cet équilibre. Du côté du Parti Québécois, on parle d’exiger une bonne maîtrise du français pour avoir le droit d’être élu. Si on veut aller au Parlement de Québec, il est tout à fait normal d’y parler français, cela va de soi. » Mais M. Prosper nuance rapidement, mettant de l’avant une réalité selon lui masquée par cette évidence. « Dans le projet du PQ, on parle d’élus en général, donc à tous les niveaux, y compris les commissions scolaires, y compris les conseils de bande. On ne va quand même pas empêcher un unilingue autochtone d’être élu dans sa localité! Il faut protéger le français mais jamais au détriment d’autres communautés« , soutient-il avec conviction. La solution, selon lui, réside une fois de plus dans l’éducation. Il défend qu’un français mieux enseigné à l’école, d’où les jeunes sortiraient avec un excellent français oral et écrit, n’aurait pas besoin de lois qui empêchent l’accès à une autre langue. « Je suis allé dans un cégep anglophone et pourtant je suis présentement en train de défendre la langue française! Pouvoir bien parler anglais, ça nous ouvre des portes. Alors cette langue seconde devrait aussi voir son enseignement rehaussé. Quant aux premières nations, c’est nous qui devrions apprendre leurs langues, elles étaient là bien avant nous!« 

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