Qui peut voter au Québec? Au-delà de la peur, le droit

Le scrutin du 7 avril prochain pourrait être volé par des gens de l’Ontario et de l’ouest du Canada. Telle est l’hypothèse lancée ce matin par le ministre sortant de la Justice, Bertrand St-Arnaud, à la suite de la publication dans Le Devoir d’un article, signé par Philippe Orfali, sur une vague d’inscriptions inhabituelle à la liste électorale chez les citoyens anglophones et allophones.

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En effet, dans cinq circonscriptions situées près des universités anglophones, ces inscriptions sont en proportion nettement supérieure à celle montrée par les données démographiques de ces secteurs, ce qui a poussé des responsables électoraux locaux à tirer la sonnette d’alarme. Caroline Pailliez, du Journal de Montréal, a d’ailleurs recueilli des témoignages d’étudiants et d’étudiantes originaires des autres provinces qui tentent, avec ou sans succès, de s’inscrire aux listes.

Alors que le Parti Québécois réclame des vérifications par le Directeur général des élections du Québec (DGEQ), ce dernier dit ne pas pouvoir intervenir en raison du caractère indépendant des commissions de révision des listes électorales. Il compte toutefois préparer un nouveau document aidant les commissaires dans leurs décisions. Du côté d’Option nationale, le chef Sol Zanetti a affirmé par voie de communiqué que « l’obtention de la qualité d’électeur devrait être mieux circonscrite ». La candidate du jeune parti dans Outremont croit, par ailleurs, « qu’une personne ne participant pas à la vitalité culturelle, communautaire et économique du Québec ne devrait pas pouvoir voter », suggérant notamment d’allonger la durée minimale du domicile en sol québécois exigée par la loi électorale. Chez les Libéraux, le chef Philippe Couillard affirme ne pas s’inquiéter face à ces inscriptions, évoquant qu’elles peuvent être le fruit de la mobilisation qu’aurait créé le Parti Québécois contre lui avec le potentiel référendum et son bilan économique.

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Au-delà des réactions partisanes, le droit

Qui peut voter au Québec? À ses deux premiers articles, la loi électorale dit que:

  1. Possède la qualité d’électeur, toute personne qui:
    1. a 18 ans accomplis;
    2. est de citoyenneté canadienne;
    3. est domiciliée au Québec depuis six mois;
    4. n’est pas en curatelle;
    5. n’est pas privée de ses droits électoraux en application de la présente loi, de la Loi sur la consultation populaire (chapitre C-64.1), de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (chapitre E-2.2) ou de la Loi sur les élections scolaires (chapitre E-2.3).

    Le domicile d’une personne est le même que celui établi en vertu du Code civil.

  2. Pour exercer son droit de vote, une personne doit posséder la qualité d’électeur le jour du scrutin et être inscrite sur la liste électorale de la section de vote où elle a son domicile le mardi de la deuxième semaine qui précède celle du scrutin.

Maintenant, allons voir ce que dit le Code civil sur la notion de domicile. Les articles sur le sujet sont numérotés de 75 à 83, mais pour la présente question, ce sont les articles 75 à 78 qui nous intéressent:

  1. Le domicile d’une personne, quant à l’exercice de ses droits civils, est au lieu de son principal établissement.
  2. Le changement de domicile s’opère par le fait d’établir sa résidence dans un autre lieu, avec l’intention d’en faire son principal établissement.

    La preuve de l’intention résulte des déclarations de la personne et des circonstances.

  3. La résidence d’une personne est le lieu où elle demeure de façon habituelle; en cas de pluralité de résidences, on considère, pour l’établissement du domicile, celle qui a le caractère principal.
  4. La personne dont on ne peut établir le domicile avec certitude est réputée domiciliée au lieu de sa résidence.

    À défaut de résidence, elle est réputée domiciliée au lieu où elle se trouve ou, s’il est inconnu, au lieu de son dernier domicile connu.

Afin de mieux comprendre ce que le Code civil entend par « demeurer de façon habituelle », une petite recherche m’a fait découvrir un rapport de recherche produit en 2006 pour le ministère canadien de la Justice par le professeur de l’Université de Montréal Gérard Goldstein et intitulé « Les notions de résidence habituelle et de résidence ordinaire à la lueur du droit civil québécois, de la Loi sur le divorce de 1985 et des Conventions de La Haye de 1980 et de 1996« . Cet extrait m’apparait très pertinent:

L’apparition dans l’article 77 C.c.Q. d’une définition de la résidence comme « le lieu où une personne demeure de façon habituelle » a pour conséquence qu’en droit civil québécois, en principe, sauf définition donnée dans une loi particulière, on assimile désormais « résidence » à « résidence habituelle ». Ainsi, le droit civil ne donne plus en principe de conséquences juridiques qu’à la résidence habituelle et non à une résidence brève, occasionnelle. En effet, la résidence, impliquant une stabilité, se distingue de la simple habitation, qui elle, désigne un lieu de séjour bref ou occasionnel. Cette conception, liant résidence et permanence ou stabilité du séjour, a été expressément adoptée dans l’article 77 C.c.Q.

À la lecture de cet extrait, on semble pouvoir affirmer sans se tromper qu’un étudiant ou une étudiante d’une autre province logeant dans une résidence étudiante qu’il ou elle ne peut occuper que durant ses sessions scolaires ne peut faire de cette résidence son domicile. Cependant, si cette même personne choisit d’habiter dans un appartement normal et qu’elle transfert sous juridiction québécoise son permis de conduire, son assurance-maladie, etc, là elle y élit officiellement domicile et devient éligible à la participation électorale. Le simple fait de signer un bail n’est pas suffisant, rappelle avec justesse le bureau du DGEQ. Que la personne ait l’intention de rester ou pas après ses études ne change d’ailleurs rien au critère de domiciliation.

Des règles claires

Contrairement à ce qu’affirment certaines personnes dans les médias, les règles sont claires. Trop peu restrictives? Aux partis de se prononcer là-dessus et de proposer des changements s’ils le souhaitent. Mais le droit permet adéquatement de qualifier de domicile ou pas le lieu de résidence d’une personne.

Il est normal et même sain de demander au DGEQ de vérifier que tout soit bel et bien conforme, ne serait-ce que pour rassurer les électeurs et électrices qui s’inquiètent. Mais en criant à la fraude, en laissant les partisans péquistes répéter ce message et en pointant d’avance du doigt des coupables sans aucune preuve, on fertilise le terrain pour un retour, le 7 avril au soir, de la tristement célèbre déclaration du Premier ministre Jacques Parizeau prononcée un certain soir de 1995…

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