Saint-Rémi: le crayon a approuvé le maillet

Saint-Rémi, 3 novembre 2013. Comme l’ensemble des citoyennes et citoyens du Québec, la population de cette ville située au sud de Montréal est convoquée aux urnes. Le climat électoral y est toutefois particulier: le maire sortant, Michel Lavoie, sollicite un septième mandat malgré la suspension lui ayant été infligée par la Cour supérieure en raison d’accusations criminelles pesant contre lui.

Une ambition à laquelle ses concitoyennes et concitoyens ont adressé une fin de non-recevoir en portant au pouvoir Sylvie Gagnon-Breton avec près de 40% des voix, contre 26% pour le maire déchu.

Suite à cet appui électoral au jugement rendu en août, revenons sur le combat perdu par M. Lavoie pour faire invalider cette nouvelle loi permettant la suspension d’une ou d’un élu(e).

Michel Lavoie, désormais ex-maire de Saint-Rémi

Photo: Pierre-Luc Daoust

Michel Lavoie, désormais ex-maire de Saint-Rémi

C’est le 14 décembre 2012 que les dédales judiciaire de Michel Lavoie débutent. Arrêté par l’Unité permanente anti-corruption (UPAC), il se voit accusé de fraude, de complot et d’abus de confiance pour avoir usé de ses fonctions afin de favoriser des proches et des partenaires d’affaires dans des appels d’offres municipaux. Il choisira toutefois de demeurer en poste, contrairement à d’autres maires en situation semblable qui ont préféré démissionner, non pas sans s’accrocher dans certains cas. Il fut arrêté de nouveau le 18 octobre dernier, en pleine campagne électorale, pour des accusations similaires. Ses adversaires dans la course au fauteuil de maire n’auraient pu rêver d’un meilleur rappel des événements aux gens de la municipalité.

En réaction aux arrestations qui se multipliaient, le gouvernement du Québec déposa le Projet de loi 10, soit la Loi permettant de relever provisoirement un élu municipal de ses fonctions. Adopté le 28 mars 2013 puis sanctionné le 9 avril suivant, ce récent texte législatif donne à une ville et à ses citoyennes et citoyens un nouveau recours, soit celui de demander au tribunal la suspension d’une personne élue faisant l’objet d’accusations criminelles liées à ses fonctions.

Michel Lavoie, premier cobaye

Cette nouveauté n’est pas passée inaperçue aux yeux de Sylvie Boyer, citoyenne de Saint-Rémi et candidate à la mairie en 2005. Le 23 avril 2013, deux semaines exactement après la sanction du projet de loi, c’est en compagnie de l’équipe de la Clinique juridique Juripop et de Me Jean-François Gagné, l’avocat qui plaidera plus tard devant le juge, que Mme Boyer dépose une requête contre le maire Michel Lavoie. Celui-ci devient le premier élu à faire l’objet d’une telle requête et fera ainsi office de cobaye pour tester la nouvelle loi.

En réplique, en plus de contester la requête, M. Lavoie s’attaque à la constitutionnalité du Projet de loi 10. Devant le juge Jean-François Michaud, les 5 et 6 août derniers, son avocat, Me Mario St-Pierre, parla du texte législatif comme étant imprécis, soulignant que le titre d’un chef d’accusation ne voulait rien dire. Un argument qui se frappera assez vite au fait que l’acte d’accusation détaille le geste reproché et qu’il ne s’agit pas uniquement d’un libellé non-détaillé. Me St-Pierre y propose également que le Projet de loi 10 est contraire aux deux chartes des droits et libertés et en contradiction avec la présomption d’innocence. Jouant la carte du bon maire apprécié de ses concitoyennes et concitoyens et insistant sur le fait qu’il n’y avait pas de concrète mobilisation pour la démission du premier magistrat de Saint-Rémi, l’avocat appela le juge à respecter la volonté exprimée par l’électorat de la ville en novembre 2009 et de laisser ce dernier prendre ou non la décision d’éjecter son maire au scrutin suivant, soit il y a quatre jours.

Loin d’être séduit par cette défense, le juge Michaud a donné le 29 août dernier son aval à la requête de Mme Boyer et a suspendu M. Lavoie.

La loi 10, l’instauration d’une arme citoyenne

Répondant à une volonté fortement exprimée par la population, le Projet de loi 10 vient modifier quatre autres lois, dont la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités. Il fixe des critères bien définis qui doivent guider le juge étudiant une requête. La Cour supérieure doit s’intéresser au lien entre les chefs d’accusations et la fonction de l’individu accusé ainsi que la déconsidération de l’administration municipale.

La cour supérieure peut, sur requête, si elle l’estime justifié dans l’intérêt public, déclarer provisoirement incapable d’exercer toute fonction liée à sa charge le membre du conseil de la municipalité qui fait l’objet d’une poursuite intentée pour une infraction à une loi du parlement du Québec ou du canada et punissable de deux ans d’emprisonnement ou plus. (…)

Pour évaluer si l’intérêt public le justifie, la cour tient compte du lien entre l’infraction alléguée et l’exercice des fonctions du membre du conseil et de la mesure dans laquelle elle est de nature à déconsidérer l’administration de la municipalité.Article 312.1
Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités

Le projet de loi 10 ne cherche pas à entrer en contradiction avec la volonté exprimée par la population lors des élections. En effet, une ou un élu(e) suspendu(e) qui gagnerait à nouveau la faveur populaire lors d’un scrutin suivant le jugement verrait sa suspension prendre fin. La suspension cesse aussi, évidemment, en cas d’acquittement de l’accusé(e) ou d’interruption des procédures judiciaires. De plus, une contrainte importante est dictée par ces ajouts légaux. Une suspension ne peut être demandée si le dépôt des chefs d’accusation a eu lieu avant la plus récente élection de l’élu(e). Advenant le cas où la suspension serait prononcée entre la date du scrutin et l’assermentation de l’élu(e) concerné(e), période durant laquelle le mandat n’est techniquement pas commencé, la suspension s’applique au mandat qui s’apprête à débuter.

Ainsi, le Projet de loi 10 considère qu’une victoire électorale traduit une expression de tolérance citoyenne à l’endroit des chefs d’accusation déposés contre l’élu(e) accusé(e) et respecte cette décision, sans pour autant exempter le ou la principal(e) intéressé(e) de son devoir d’assumer ses gestes face à la justice criminelle.

La cour ne peut prononcer l’incapacité provisoire du membre du conseil si la requête est fondée sur une poursuite intentée avant le jour du scrutin de la plus récente élection pour laquelle il a été proclamé élu ou, selon le cas, avant le jour où il été proclamé élu lors de cette élection en vertu de l’article 168.Article 312.2
Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités

L’incapacité provisoire cesse d’avoir effet à la première des
éventualités suivantes:

  1. à la date à laquelle le poursuivant arrête ou retire les procédures à l’égard de tous les chefs d’accusation compris dans la poursuite ayant servi de fondement à la requête;
  2. à la date à laquelle est passé en force de chose jugée un jugement prononçant l’acquittement ou l’arrêt des procédures à l’encontre de tous ces chefs d’accusation;
  3. à la date à laquelle prend fin, conformément aux dispositions de la présente loi, le mandat du membre du conseil qui a cours à la date où le jugement est rendu.

Toutefois, pour l’application du paragraphe 3 du premier alinéa, la date à laquelle prend fin l’incapacité provisoire est celle de la fin du mandat qui suit celui durant lequel le jugement est rendu si ce dernier est rendu avant le jour où le membre visé a prêté serment à la suite de sa plus récente élection.Article 312.4
Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités

Enfin, à l’image d’une suspension disciplinaire avec solde, l’élu(e) jugé temporairement inapte à faire son travail conserve sa rémunération. Il ou elle devra toutefois rembourser son salaire obtenu durant sa suspension en cas de verdict de culpabilité.

Le membre du conseil déclaré coupable, par jugement passé en force de chose jugée, d’une infraction qui a fait l’objet d’une poursuite ayant servi de fondement à la requête doit rembourser à la municipalité toute somme qu’il a reçue d’elle à titre de rémunération, d’allocation ou de compensation en vertu de la Loi sur le traitement des élus municipaux (chapitre T-11.001) attribuable à la période durant laquelle il a dû cesser d’exercer ses fonctions.Article 312.5
Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités

Saint-Rémi sur la carte

Image: Google Maps

Saint-Rémi, en Montérégie, pas loin au sud de Montréal

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