Apprendre sous les coups de hache

Notre sinistre de l’éducation, Pierre Reid, frappe fort, ces temps-ci. Voilà qu’il fait cadeau aux étudiants collégiaux et universitaires d’une sympathique coupure de 103 millions de dollars dans l’aide financière aux études (AFE), soit le régime des prêts et bourses. Mais qu’est-ce que ça changera? Sur le montant qu’un étudiant reçoit au début de ses études, absolument rien. Mais alors, qu’est-ce que ces maudits étudiants ont encore à chiâler?

Combien recevra l’étudiant?

Pour que vous puissiez mieux comprendre où se situe l’impact de ces compressions, voici brièvement comment fonctionne l’AFE. Plusieurs critères déterminent le montant auquel un étudiant a droit. En voici quelques-uns: A-t-il un emploi? Si oui, près de l’équivalent de la moitié du salaire est retranchée du montant accordé. Habite-t-il encore ou non avec ses parents? Reçoit-il ou non une contribution des parents, du conjoint ou de la conjointe, pour ses études? Notons que ce critère est injustement évalué, car on l’évalue selon le salaire des concernés, en se foutant royalement du fait qu’ils ne contribuent pas nécessairement, même s’ils sont propriétaires d’une compagnie pétrolière (seulement environ 50% des universitaires reçoivent réellement une telle contribution). 1

Avant de continuer, j’ouvre une parenthèse pour expliquer la différence entre un prêt et une bourse. Le prêt est un montant que l’étudiant devra rembourser à la fin de ses études. Il est prêté par les banques, et est remis à l’étudiant par l’intermédiaire de l’AFE. Aucun intérêt n’est cumulé durant tout le temps des études, mais dès que celles-ci finissent, les intérêts commencent à apparaître et à s’accumuler jusqu’à ce que l’étudiant se soit acquitté totalement de sa dette. La bourse, quant à elle, est un cadeau de l’État, que l’étudiant n’aura pas à rembourser. Une sorte de mot de bonne chance de la part de l’État, si on veut.

Donc, une fois que le montant accordé est déterminé, il faut le diviser entre le prêt et la bourse. Cette répartition se fait suivant un plafond de prêt, soit un montant maximal pouvant être accordé sous forme de prêt. Le reste doit être accordé en bourse. Depuis l’an 2000, soit depuis l’accord des Bourses du millénaire, chez les étudiants collégiaux, ce plafond est de 2005$. Chez les universitaires de premier cycle, il est de 2440$, et chez ceux de deuxième et troisième cycle, de 3240$. Or, voici que le plafond de prêt passera respectivement à 3150$, 4520$ et 7980$!2

Soyons logiques. Je viens d’expliquer que le montant total accordé en prêt et bourse diminue si on a d’autres revenus pouvant nous aider. Donc, ceux qui ont besoin de plus gros montants, et qui obtiennent de plus grosses bourses, sont bien évidemment les plus démunis. À qui croyez-vous donc que cette coupure budgétaire fera le plus mal? Certainement pas aux riches, mais bien aux gens pauvres. Le niveau d’endettement étudiant augmentera de façon considérable (en moyenne, 62% d’augmentation 2). Et contrairement à ce que les organisations veillant à la bonne croissance du capitalisme tentent de nous faire gober, le taux élevé de décrochage au Québec est dù à des motifs financiers, et non à la «non-appréciation» des cours de philosophie et de français du cégep. Cette coupure ne fera que forcer les plus démunis à s’abstenir de poursuivre leurs études, pour ainsi éviter des dettes étouffantes impossible à rembourser.

C’est pourquoi, déjà, cette coupure?

Le gouvernement Charest présente cette compression budgétaire comme un des moyens pour faire face au vieillissement de la population québécoise, qui entraîne une augmentation des coûts d’hébergement et de soins aux personnes du troisième âge. Eh bien Patapouf et ses amis se sont plutôt tiré dans le pied…

En réduisant, voire empêchant, l’accès aux groupes moins nantis aux études supérieures, on les prive d’emplois bien rémunérés. Je ne vous apprends sans doute rien en vous rappelant qu’aujourd’hui, la diplômation est le plus souvent ce qui fait le salaire d’un travailleur. Plus ce salaire est élevé, plus le montant que ce travailleur paiera en impôts le sera aussi, et donc, plus ce dernier sera «rentable» pour l’État. Donc, en coupant dans l’AFE et en augmentant l’endettement étudiant, le gouvernement se prive de revenus fiscaux qui auraient pu servir à payer pour nos personnes âgées, sans pour autant élargir le fossé social entre la classe des gens d’affaires et la classe travaillante.

De plus, le fléau de la dénatalité que nous connaissons actuellement ne pourra qu’empirer. Quand on a arrêté les études après le secondaire, faute de fonds, et qu’on travaille pour le salaire minimum ou à peine plus, ou qu’on a obtenu un diplôme de haut rang mais avec 20 000$ de dette en commençant dans la vie, est-ce que fonder une famille est une priorité? J’en doute très fort.

En conclusion…

Il est clair que cette compression budgétaire ne peut que nuire aux étudiants qui bénéficient de l’AFE, et il est important de le faire comprendre à notre ministre de l’éducation, qui est, tout comme ses collègues, très déconnecté de ce que vivent en réalité les gens des classes moins nanties de la société. Montrons-lui notre désaccord, manifestons, montrons-lui que nous ne sommes pas intéressés par sa loi du plus fort.

Présentons-lui la pauvreté.

  1. «103 M$ de bourses converties en prêts», François Baillargeon et Xavier Lafrance,Ultimatum, volume 4, numéro 1, septembre 2004
  2. «Une coupure qui hypothèque l’avenir des jeunes», Pier-André Bouchard Saint-Amant,La voix étudiante du Québec, août 2004